Après la neige d'hier, j'ai cherché dans mes tiroirs une histoire estivale, pleine de couleurs... Elle est un peu longue, j'ai donc décidé de la découper en deux épisodes. Il faudra attendre demain pour ouvrir la fenêtre suivante. Bonne lecture, et bonne journée!

La danseuse mauve
Dans sa jeunesse, Elena avait été une grande danseuse. Elle avait participé à de nombreux spectacles, partout dans le monde. Pour son plus beau rôle, très remarqué, elle portait une robe mauve.
Les journaux avaient titré : "La danseuse mauve, une fleur dans le vent. Elle ne danse pas, elle vole ». A compter de ce jour, elle avait été célébrée partout en ces termes: la danseuse
mauve.
Mais le conte de fées prit fin subitement. Accident. Grave. Opérations. Multiples. Rééducation. Longue. Séquelles irréversibles, marche retrouvée, mais capacités de danseuse étoile brisées. Fin
du rêve mauve.
Folle de rage et de douleur, Elena refusa de devenir une danseuse de second rang ou une professeure de danse aigrie. Elle préféra tout arrêter, remisa la danse dans un trou noir de sa mémoire,
enferma sa robe dans la grande armoire de ses parents, avec les photos, articles de journaux, ballerines usées. Elle tira un trait sur son passé.
Quittant ses parents, ses amis, ses souvenirs, elle commença une nouvelle vie, ailleurs. Rapidement, elle rencontra celui qui était devenu son mari. Il ne connaissait rien à la danse, ne
s'intéressait pas aux arts, la trouvait drôle, ne s'effrayait pas de ses sautes d'humeur. Ils fondèrent une famille, elle reprit ses études, passa son diplôme de secrétaire médicale, et la vie
reprit son cours. Différente, mais somme toute assez belle. Les enfants grandissaient, Elena apprenait le rôle de mère multi-tâches et réapprenait le bonheur.
Jusqu'à ce jour, quelques mois à peine après avoir pris sa retraite, où elle trouva son mari mort dans le fauteuil où il lisait le journal. Elle appela ses enfants, prévint les amis, lança les opérations funérailles, reçut les condoléances, la tristesse, l'amitié. Dit adieu. Et se retrouva seule.
C'est à cette période qu'elle commença à jardiner. Elle y mit tant de coeur, elle y passa tant d'heures que dix ans plus tard, son jardin était donné en exemple par l'association horticole voisine. Son potager généreux réjouissait ses enfants et petits-enfants, ainsi que les voisins. Des variétés rares de fleurs parfumées attiraient abeilles, papillons, et visiteurs à deux pattes. Elena était fière de faire visiter son petit Paradis. Elle craignait seulement la question qui, régulièrement, surgissait sur les lèvres de l'un ou l'autre des visiteurs : "c'est curieux, chez vous il y a toutes les couleurs de l'arc-en-ciel... sauf le mauve. C'est étonnant, non?"
Elena serrait les dents, souriait, gardait le silence. La couleur mauve, et la fleur du même nom, étaient à jamais bannies de sa vie. Trop de souvenirs... Chloé et Vadim, ses enfants, en savaient quelque-chose. Lorsqu'ils étaient enfants, déjà, dans la boîte à crayons, la couleur mauve disparaissait toujours. "Les lubies de maman!", pensaient-ils, résignés. Le temps avait filé depuis leur enfance, ils avaient autre chose à faire que de s'inquiéter des coloris du jardin de leur mère. Elle souriait, elle était en forme, elle avait su rebondir, le reste importait peu. Ils ne commentaient pas, ils savouraient. Quelques années passèrent, joyeuses et parfumées.
Et puis... Et puis Elena sentit peu à peu les affres du temps la gagner. Elle fatiguait, l'arrosoir se faisait plus lourd, les bavardages des visiteurs l'incommodaient, le jardin devenait trop grand, la bâtisse trop lourde à entretenir, trop coûteuse aussi. Quand la locataire de la maison de son enfance posa son préavis de départ, Elena accueillit la nouvelle comme un signe. La vieille maison l'appelait. Elle était juste assez grande pour elle, avec une petite chambre d'amis tout de même, pour recevoir ses petits-enfants de temps en temps. Le jardin était petit, à l'abandon depuis quelques temps. Ce serait un défi à sa mesure. Une dernière aventure avant....

Au moment où cette histoire commence, Elena s’apprête donc à abandonner son jardin d'aujourd'hui pour sa maison d'autrefois.
Toute la famille est venue l’aider pour le déménagement : son fils Vladim, sa fille Chloé, ses deux belles-filles et ses trois petits-enfants. Les voitures ont été remplies de cartons, de
valises, de petits meubles, de lampes et de couvertures, on a avalé les kilomètres d’autoroute et de routes de campagne, et bientôt le voyage prend fin, il est temps de décharger.
Tandis que les adultes s’agitent en tous sens et que les deux grands cousins jouent au foot sur le parking, Mia s’installe dans le jardin pour dessiner. Elena, ou plutôt Babou, comme ses
petits-enfants l'appellent, lui a offert un carnet et une grande boîte de crayons. La petite fille s’amuse à poursuivre les coccinelles et les fourmis, et à dessiner toutes les fleurs qu’elle
voit.
Au bout d’une heure, tonton Vladim et tata Solenn s’en vont à la déchetterie, la voiture pleine de bazar. Bientôt, ce sont maman Chloé et maman Nancy qui se préparent à partir elles aussi.
- Mia, on part faire des courses pour le repas. Tu viens ?
- Moi, je reste avec Babou ! D’abord, je n’ai pas fini mon dessin !, répond la petite fille d’un ton décidé.
- Très bien, alors à tout à l’heure... sois sage avec Babou.
Dix minutes plus tard, Mia rejoint sa grand-mère dans la cuisine. Babou est occupée à nettoyer les placards pour y mettre sa vaisselle. Très concentrée, elle sursaute en entendant la voix de sa
petite-fille :
- Tiens, Babou, c’est pour toi, j’ai dessiné les fleurs!
Les fleurs sont très ressemblantes. Cinq pétales clairs veinés d’une teinte plus foncée. Mia a mélangé beaucoup de rose et un peu de bleu, pour s’approcher le plus possible de la réalité. Elena
fronce les sourcils.
- Qu’est-ce que c’est que ça ? Où as-tu trouvé ces fleurs, Mia ?
(à suivre....)

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Tata Annie (mardi, 09 décembre 2025 18:58)
Mille mercis !
J ' ai hâte d ' être à demain pour la suite !
Bisous