Comme promis, voici la suite et la fin de l'histoire de Mia et Babou commencée hier. Bonne lecture, et belle journée colorée!

(...)
Mia entraîne sa grand-mère à travers les herbes hautes et les orties.
- Regarde, Babou, c’est là !
Un magnifique plant de mauve sylvestre fait le régal des abeilles et des bourdons. Elena manque de s’étouffer. Elle donne un coup de pied rageur dans la tige en lançant:
- Tu n'as rien à faire là, toi!
Mia regarde sa grand-mère avec de grands yeux effrayés. Babou tire maintenant sur la tige pour l'arracher, y mettant toute sa rage. La mauve résiste un peu avant de céder. Les yeux de Mia
s’emplissent de larmes :
- Babou, tu es méchante ! Je te déteste !
Elena n’a pas le temps de réagir que sa petite-fille s'est déjà éloignée au grand galop.
Figée, incapable de faire un geste, Elena regarde la mauve, racines à l'air. Son coeur éclate et les sanglots fusent. La fatigue du déménagement, l’émotion de retrouver la maison de son enfance,
la souffrance du passé qui revient, la colère, l’impuissance, tout s'emmêle. Jusqu'à ce que, traversée d’un éclair de lucidité, elle se redresse d’un bond, affolée. Où est partie Mia? La route
est si proche!
-Mia! Où es-tu? Mia, réponds, je t'en prie!
Elena cherche partout, appelle à s'en casser la voix, elle envoie les garçons chercher leur cousine à travers les rues du village, elle appelle sa fille et sa belle-fille pour les prévenir. Tout le monde cherche. Peine perdue, Mia reste introuvable. Jusqu'à ce que...
Elena grimpe l'escalier aux marches usées. Tout là-haut, la porte du grenier. Entrebaillée! Elena retient son souffle. Et si...
A l'intérieur, les odeurs n'ont pas changé. Sur le mur pendent de vieux bouquets de menthe poussiéreuse et des entrelacs de toiles de jute, de cordes et de vieux vêtements. Elena reconnaît, tout au fond, la vieille armoire de son enfance. La porte est ouverte! Un bout de tissu en dépasse. Un pan d’étoffe légère, qui scintille et fait battre son coeur plus vite. Un bout de tissu mauve.
Elena s'approche à grands pas, et enfin, elle la voit : sa petite-fille, endormie dans les plis de la vieille robe de danseuse, ses petites mains enveloppant l'étoffe comme un doudou. C’est l’avenir qui dort dans les plis du passé, l'enfance réconciliante. Elena ne peut retenir un lourd soupir. Ses épaules crispées se relâchent, son coeur retrouve un rythme plus lent. Il faudrait aller prévenir les autres. Il faudrait bouger.
Elena ne bouge pas. Elle regarde Mia dormir. Cet instant lui appartient. Pour un instant, oublier le temps, l'inquiétude. Pour un instant, savourer le bonheur retrouvé. Dans le coeur d'Elena, une paix nouvelle est en chemin. Il est temps, se dit-elle. Tout à coup, elle sait. Elle sait que tout doit changer. Pour le meilleur cette fois. Et si c'était pour ça que la vieille maison de son enfance l'avait appelée à venir finir ses jours ici? Et si elle avait encore quelque-chose à vivre, ici?
D’une caresse, Elena réveille Mia. La petite fille ouvre un œil et murmure, inquiète :
- Babou ? Tu es toujours fâchée ?
- Non ma chérie, je ne suis plus fâchée. C’est toi qui as raison, j’ai été très méchante avec cette pauvre fleur, et avec toi. Je te demande pardon. Ton dessin est très beau. Maintenant, on va
aller retrouver tes mamans, parce que tout le monde s'est inquiéter de ne pas te retrouver. On va prendre un bon goûter; et après je te montrerai un trésor presque aussi beau que ton dessin.

Après les biscuits et le jus de pomme, Elena remonte au grenier avec Mia. Elles s'assoient dans la poussière. De la grande armoire, Elena sort une boîte à chaussures en carton jauni. Elle l'ouvre
avec précaution. A l’intérieur, des articles de journaux, des clichés d'une autre vie. Et sur le dessus, souriant sans brume, une belle jeune femme vêtue de mauve. En la voyant, Mia
s'écrie:
- Oh, c'est maman Chloé !
- Non ma chérie. Ce n’est pas ta maman... C’est moi, c’est Babou. Quand j’étais encore toute jeune.
- Comme tu es belle, Babou ! On dirait une fée!
- Ce n'est pas tout à fait une robe de fée, c'est une robe de danseuse. Parce que j’étais danseuse avant, c’était ça mon premier travail.
- C’est vrai ? Comme dans Casse-Noisette ?
- Exactement. Cette robe, là, que tu as trouvée assez douce pour t’y endormir, c’est la robe de la photo.
- Oh, tu as de la chance ! Moi aussi je voudrais une robe de danseuse!
Elena serre sa petite-fille dans ses bras. Fort, très fort. Juste assez fort pour écraser les derniers chagrins.
- Oui, ma chérie, j’ai beaucoup de chance.
Trois mois plus tard, tous les cartons ont été vidés, la maison redécorée, la pelouse tondue et le potager commence à donner.
La machine à coudre d’Elena reprend du service. Dans sa vieille robe mauve, Babou découpe juste assez de bon tissu pour coudre une belle petite robe à volants pour sa petite-fille.
Pendant ce temps, sous la fenêtre du salon, trois fleurs de mauve déplient lentement leurs pétales.
Dans le salon, une petite fille tourne, virevolte, dans sa robe neuve.
Dehors, trois fleurs en robes légères, dansent dans l’air. Le vent se lève.
Elles ne dansent pas, elles volent.
Texte Isabelle Bouchex (tous droits réservés)


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