Me voici de retour avec un texte hivernal... Plus Noël approche, plus la nostalgie des montagnes enneigées revient frapper à ma porte. Alors puisque pour le moment en montagne il fait doux et que tout le monde attend la neige, je l'appelle de mes mots! Bonne journée, avec ou sans flocons.

Première neige
Sur la terrasse ils sont trois. Encapuchonnés, emmitouflés serrés, plus colorés l’un que l’autre. Trois perruches qui se seraient trompées de pays, de saison. Dans le coton neigeux, ils
s’ébrouent, à grand renfort de cris et de rires. Quel âge ont-ils ? Encore enfants, déjà ados ? Leurs mouvements désordonnés ne me laissent pas loisir de m’attarder à les décrypter. Je ne peux
que saisir au vol le cristal de leurs voix, leurs chants de fées. A l’heure où tous les bruits semblent domptés, que tout est feutré par le duvet blanc, ils sont le feu qui surprend l’immobilité,
la fourmi qui pique, le merle du matin. Leur excitation m’enchante.
Ils courent, sautent, piétinent, se dandinent, se secouent, tapent dans leurs mains gantées, se pourchassent. Et s’arrêtent. Parce que l'un d’eux vient de se laisser tomber au sol, dans la poudre
fine. Il agite les bras comme des ailes prêtes à l’envol. Se relève précautionneusement. Admire son empreinte d’ange déchu. Avec quelle étrange fierté ? Aussitôt, les autres cherchent un espace
vierge pour l’imiter. C’est ainsi que peu à peu, du terrain infiniment blanc du matin, couverture de velours à la surface brillante, d’une ondulation discrète modelée par les vents de la nuit, il
ne reste qu’une soupe blanche. Un champ de bataille.
Neige brassée, bottes qui s’enfoncent, poudre et blocs défaits qui s’emmêlent. Il est temps, alors, de passer aux choses sérieuses. Igloo ou bonhomme de neige ? Souvent il y a deux équipes. Le choix est engageant. Il faut savoir de quel côté on penche. Bâtir patiemment un nid douillet, ou donner vie rapidement à un personnage paré de toutes nos envies ?
L’imaginaire mène le jeu, et les enfants sont maîtres de leur royaume. Ils effacent le monde des adultes. Ils effacent le temps.

Tous les hivers le miracle se reproduit. Quelle que soit la quantité de flocons que daignera déverser Dame Nature - ou le Seigneur des cieux, le Père Noël, la Reine des neiges, l’Esprit de la montagne? -, le miracle se renouvelle : la première neige est une invitation au rêve.
Sur la terrasse blanche, les enfants recréent le monde. Leurs regards s’émerveillent, leurs corps s’agitent. Selon leur tempérament, ils seront enfants rêveurs avançant à pas lents, touchant du
bout des doigts, avalant l’instant par le regard. Ou enfants conquérants, sautant à pieds joints dans la matière. Les enfants prennent possession de l’hiver. A leur manière.
Parfois, ces enfants ont les cheveux gris, la peau fripée, les articulations usées. Un regard rapide, superficiel, les prendrait pour de vieux adultes. Mais c’est un leurre, une couverture
d’espions! Car dès la première boule formée entre leurs doigts gelés, dès les gants mouillés amalgamant le mur d’un igloo, ils ne peuvent plus feindre. Elle est là, elle explose : l’enfance !
Elle se lit dans les regards, s’entend dans les rires. La première neige libère l’enfance emprisonnée dans le quotidien des adultes. Et c'est contagieux. L’enfance ramène les vieux enfants à la
magie. Un instant parfois. Une seconde seulement. Juste un regard levé vers le ciel. Un « oh regarde, comme c’est beau, cette lumière sous les sapins ». Une boule de neige lancée à la va-vite.
L'air de rien. ça ne dure pas longtemps, mais c'est là. Indéniable.
Plus tard, bien vite, la vie reprendra son cours. Mais là, juste là, la neige tombe et plus rien n’a d’importance.
Bienvenue en enfance.
Texte : Isabelle Bouchex (tous droits réservés)

Écrire commentaire