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13 décembre, bonne fête de Sainte Lucie!

Me voici prise à mon propre piège... Ce calendrier de l'Avent, c'est aussi un défi d'écriture que je me suis lancé. Pour aujourd'hui, je m'étais donné comme exercice d'écrire un texte partant de l'image figurant ci-dessous. Cette jeune fille portant couronne de bougies sur la tête et apportant le petit-déjeuner à sa famille, c'est l'image même de la fête de Sainte Lucie en Suède. Lucie, c'est la Lumière. La promesse que les jours bientôt vont rallonger, que la nuit profonde va diminuer. Sainte Lucie célébrée aujourd'hui 13 décembre.

J'ai donc pris ma plume, ou plutôt mon clavier, hier soir, et me suis mise avec bonheur à la tâche. Mais ce matin à 9 heures passées le texte n'est pas terminé. Prise au piège du défi que je me suis lancé, je vous en offre ce matin la première partie... et je prends le pari que demain la deuxième partie sera finie! ;-) 

PS :  Pour vous mettre dans l'esprit de la fête de Sainte Lucie, voici quelques tableaux d'artistes scandinaves dans cette vidéo 

 

Illustration Jenny Nyström
Illustration Jenny Nyström

Le marin et l'ombre blanche

 

Elle portait une robe blanche. Une parfaite mariée de la nuit. Ou un ange déchu, drapé dans un reste de dignité. Elle glissait sur le parquet du corridor, flottant presque, telle une ombre fuyante. S’il avait encore été capable d’avoir peur, peut-être aurait-il craint cet esprit surgi de nulle part. Mais il n’avait pas peur. Il était revenu de la peur. Quand on navigue longtemps sur les océans du monde, quand on affronte la solitude et les tempêtes, il y a deux issues : soit on finit par avoir peur de tout, soit on n’a plus peur de rien. Ce qui revient au même, au final. La peur devient une compagne quotidienne, si familière qu’elle n’a plus rien d’effrayant. Elle est là, c’est tout. On fait avec.
Lui, il n’avait plus peur de rien. Les mauvaises fées de la nuit, il les connaissait. Il savait leur regard noir et coupant comme un éclair. Il savait qu’il ne fallait pas les quitter des yeux un instant, qu’il ne fallait pas se laisser endormir. Il savait qu’elles pouvaient revenir n’importe quand, comme ça, juste pour faire grincer la mémoire et le corps douloureux. Il n’avait peur de rien, sauf des remous du passé. Pour ne pas se laisser entraîner dans le gouffre noir des souvenirs, il ouvrait grand les yeux. Toujours. Si grand qu’il ne dormait plus.


Il ne dormait pas cette nuit-là, quand il avait cru entendre le froissement d’un tissu contre la porte de sa chambre. Il ne dormait pas quand une voix mélodieuse l’avait surpris dans ses pensées trompeuses. Il ne dormait pas quand il s’était levé, comme un automate, quittant la chaleur du duvet pour entrouvrir la porte. C’est là qu’il l’avait vue, la première fois, glissant dans le corridor. Dans l’entrebâillement il l’avait vue, ne sachant trop si elle était réelle ou chimérique. Il s’était recouché, obsédé par cette image qui glissait en lui. Bizarrement, il s’était endormi rapidement après ça. Comme apaisé.
Au matin il avait cru à un rêve. Un joli rêve de fée. 
Mais la nuit suivante, les mêmes sons étouffés l’avaient à nouveau sorti de son lit. Et la nuit suivante. Et celle d’après. Chaque fois, il s’était levé sans bruit, avait entrouvert la porte, l’avait regardée passer, essayant de comprendre ce que sa voix murmurait. Ces mots qui ne s’adressaient à personne, qu’il n’était pas censé entendre, quel était leur sens ? En avaient-ils seulement un ? Et surtout, qui était cette jeune femme ? 
A force, il avait bien fini par comprendre qu’elle était femme en effet, et non fantôme. Un fantôme n’aurait pas grogné en se cognant contre la commode. Un fantôme n’aurait pas laissé derrière lui un sillage vanillé si puissant. Mais alors, qui était cette jeune femme, et où allait-elle au beau milieu du silence nocturne ?


De nuit en nuit, il avait fini par attendre sa venue. Il l’espérait comme on attend l’aurore. Elle passait dans un sens, parfois il l’entendait passer dans l’autre sens. Mais souvent, il s’endormait avant son retour. Dans ses insomnies, elle était une lumière apaisante qui l’éloignait un instant de ses heures de veille, de ses nuits à rester toujours sur le qui-vive, sur le pont, écopant les torrents d’eau sombre soulevés par sa mémoire. La silhouette blanche qui passait dans le couloir était bien plus séduisante, bien moins mortifère que les démons d’hier flottant sur une mer toujours noire. 

tableau de Carl Larsson
tableau de Carl Larsson

Au matin, lorsqu’il descendait déjeuner dans la salle de restaurant, il scrutait les clientes, espérant reconnaître ses traits, sa silhouette, dans l’une d’elles. Il testa différents horaires, différentes tables. Il supposa tour à tour qu’elle pouvait être très matinale, si elle ne dormait pas plus que lui. Ou au contraire très tardive, si elle se rendormait au matin sans réussir à s’extirper du lit ensuite. Mais à quelque horaire que ce soit, aucune femme aux tables voisines ne ressemblait jamais à la vision de ses nuits. Elles étaient toutes trop âgées, trop rondes, trop rousses, trop noires, trop grandes ou trop petites. Pas une seule n’aurait pu concourir pour le titre d’ange de ses nuits. Il finit par penser qu’elle ne déjeunait pas. Mangeait-elle seulement, ou se nourrissait-elle de l’air du temps ?

 

A force, elle devenait une obsession, le détournant de l’objectif de son séjour dans cet hôtel : le repos. Il s’était exilé lui-même ici, contre l’avis de sa femme qui pensait que le remède serait pire que le mal. Il était parti loin de tout. Un petit hôtel en pleine montagne, loin de l’océan, loin des bateaux et des souvenirs. Quinze jours en solitaire, sans la vie joyeuse et fatigante des enfants, sans la sollicitude aimante et étouffante de son épouse. Se reposer. Assimiler. Avancer. Voilà quel était l’objectif de ce séjour. Mais elle, dans sa robe blanche, dans son visage lunaire, prenait toute la place dans ses pensées.

Le marin savait bien qu’une obsession était dangereuse, elle vous détournait de votre attention au présent. Il savait aussi que la seule façon de s’en défaire était de l’affronter, une bonne fois pour toute. Une nuit, il se résolut à la suivre.


Par la porte entrouverte, il la suivit du regard jusqu’à ce qu’elle disparaisse dans le coude du corridor, comme toutes les nuits. Il sortit de sa chambre et prit le même chemin. Tout au bout de l’autre partie du corridor, il y avait une porte. Une porte devant laquelle il passait chaque jour sans y prêter attention. Un petit écriteau métallique indiquait « privé ». A son arrivée, il avait supposé que la porte menait sans doute à une réserve, pour les draps ou le matériel de ménage, et il n’y avait plus pensé ensuite. 
Elle avait laissé la porte entrouverte, comme si elle allait revenir très vite. Il jeta un œil, espérant ne pas rentrer dans une pièce minuscule où ils tomberaient inévitablement nez à nez l’un avec l’autre. Comme il l’avait deviné, c'était bien une pièce de stockage. Les étagères étaient remplies de produits d’entretien, de serviettes et de rouleaux de papier WC. Mais ce qu’il n’avait pas imaginé, c’est que dans un coin de la pièce se trouvait un escalier. Extrêmement raide, presque une échelle de berger. Déjà, la jeune femme était parvenue aux dernières marches. Poussant une petite porte, elle avait quitté les lieux. Au même moment, il sentit un courant d’air froid glisser dans son cou.

 

(à suivre...)

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Commentaires: 1
  • #1

    Martine (samedi, 13 décembre 2025 11:30)

    Attendre demain pour la suite oh la la....��