Bon matin! Voici la suite du texte d'hier, mais il faudra attendre demain pour lire la fin.
J'ai pourtant bien relevé le défi, mon texte est terminé, mais il est un peu trop long pour le découper en deux épisodes. Le troisième et dernier épisode, ce sera pour demain, promis. Bon dimanche!

.../...
L’escalier était si raide. Il hésita. Mais la curiosité fut plus forte que la douleur. Les marches grinçaient sous ses pas. Il grimpait avec peine, se hissant comme il pouvait, à la force des bras. Pourvu que la rampe branlante tienne le coup ! Parvenu à la dernière marche, essoufflé, douloureux, il se redressa et jeta un œil par l’entrebâillement de la porte. L’air froid le saisit, tout autant que la vue incroyable qui s’offrait à lui. L’espace infini était là, à portée de ses pas.
Aussitôt, il en oublia toute prudence, il oublia son essoufflement, son souci de ne pas être vu de la jeune femme. Il en oublia même pourquoi il était là. Seule comptait la vision du ciel, depuis
cette minuscule et improbable terrasse sous l’avant-toit. Il se croyait revenu sur le pont du bateau. Dans cet espace où la terre n’existe plus. Seul le ciel compte. Le ciel étoilé, infini,
protecteur et menaçant. L’immensité sublime, la perfection des nuits claires, loin de tout. Ce ciel qu’il ne voulait plus regarder depuis des mois. Ce ciel qu’il boudait, à qui il refusait de se
fier, désormais. Le ciel était là, tout proche, apprivoisé par les montagnes.
Il abandonna son visage au vent, penchant légèrement la tête en arrière, bouche ouverte comme pour avaler les étoiles, en un geste mille fois accompli. C’est alors qu’un petit cri aigu jaillit du
silence, le faisant sursauter. Elle était là, à deux pas, qui le dévisageait avec crainte. Son regard naviguait entre lui et la porte restée ouverte. Elle cherchait comment s’échapper. Lui
échapper.
Dans son regard inquiet, il réalisa l’absurdité menaçante de la situation. Il était seul sur le toit d’un hôtel de montagne face à une jeune femme inconnue. En pleine nuit. Seuls tous les deux,
sans témoins. Lui, l’homme de quarante ans au visage plein de cicatrices, au corps massif, aux bras tatoués, à la barbe fière, et elle, une jeune femme menue, qui aurait pu être sa fille, si
frêle. Et si peu vêtue.
Il pensa à sa petite fille, l’imagina, dans quelques années, à la place de cette jeune femme, et il eut peur pour elle. La peur qu’il ne connaissait plus pour lui, il la connaissait pour
elle.
La jeune femme le détaillait, elle aussi. Perçut-elle sa fragilité, au-delà de l’image de gros dur que son corps donnait de lui, malgré lui ? Elle sembla se ressaisir, parut soudain plus forte.
Plus forte que la peur. Plus forte que lui. Quand elle prit la parole, la voix était ferme et le ton accusateur :
- Vous m’avez fait peur !
- Je suis désolé, je… je peux repartir.
- Vous ne devez pas être là, c’est privé.
Elle avait raison, et il venait de dire qu’il pouvait repartir. Alors pourquoi ne faisait-il pas un mouvement ? Elle le regardait, lèvres pincées, boudeuse. Pourtant il ne bougeait pas. Il ne
pouvait pas. Il ne pouvait plus. Sa voix avait éveillé en lui trop de souvenirs. Sa voix, son accent surtout. La mélodie de ces quelques mots, le claquement sonore, la musique des voyelles, la
précision des consonnes. L’écho boisé de cette langue nordique qu’il n’avait jamais oubliée. C’est en suédois qu’il lui répondit :
- D’où viens-tu ?
La jeune femme posa sur lui de grands yeux ébahis. Son regard buté s’évanouit, remplacé par une sorte d’émerveillement mêlé de gratitude.
- Tu parles suédois ? Ici personne ne connaît ma langue !
- J’ai bien connu ton pays. C’était il y a longtemps. Je ne parle pas très bien.
- Tu as un bon accent.
- Merci. Je suis désolé de t’avoir fait peur.
- Je suis désolée d’avoir crié.
- Je comprends que tu aies peur. Il se passe parfois des choses effrayantes la nuit.
- Je n’ai pas peur de la nuit... Je suis suédoise !, ajouta-t-elle d’un air espiègle.
- Alors ? D’où viens-tu ?
- Öland. Tu connais ?
- Bien sûr que je connais ! J’ai navigué beaucoup. Öland, Gotland. Le ciel immense. Les couleurs du vent. Bien sûr, que je connais, répéta-t-il d’un ton songeur.
- Tu es marin ?
- Oui... Non. J’étais marin. Je ne le suis plus.

Il ne voulait pas parler de lui. Pas encore. Il était venu pour oublier. Pas pour raconter. Il préférait être celui qui questionne. Avant que la jeune femme ait le temps d’ajouter autre chose, il
reprit la parole :
- Qu’est-ce que tu fais là, en pleine nuit ?
- Je guette les étoiles.
- Chaque nuit?
- Oh… tu m’as vue ? Eh bien… Mon pays me manque. Et ma famille, mes amis... La nuit, je me sens plus proche d’eux. On a l’habitude de la nuit, en Suède, et même si ce n’est pas la même qu’ici,
les étoiles me rassurent. C’est un peu idiot, mais...
- Pas du tout. Tu as raison. Les étoiles relient.
- Oui, c’est ça. Elles m’accompagnent.
- Tu es donc en vacances toute seule ?
- Je ne suis pas en vacances. Je travaille comme jeune fille au pair. Je m’occupe des enfants des gérants. Je ne suis pas seule.
- Ah, voilà pourquoi je ne te trouvais pas au milieu des clients, s’exclama-t-il. Et il lui raconta l’obsession de ses nuits, et sa petite enquête matinale. Elle sourit avec lui et expliqua
:
- Je ne déjeune pas à la salle avec les clients. Je déjeune dans la cuisine des gérants, avec les enfants, avant de les accompagner à l’école. Et après, j’ai du temps pour aller me promener ou
j’aide un peu à l’hôtel, ça dépend des jours.
- Tu es là pour l’année ?
- Pour six mois. Et toi ? Qu’est-ce que tu fais là ?
- Je… je me repose.
- On ne dirait pas. Tu ne dors pas, à cette heure ?
- Ah, non…. Je piste les fées de la nuit.
Le silence retomba entre eux. Un silence confortable, réchauffé par ce qu’ils partageaient désormais. Un bout de Suède. La mélodie d’une langue. La beauté d’une île. Chacun naviguait dans ses
souvenirs.
(à suivre...)

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Martine (dimanche, 14 décembre 2025 10:01)
Tu nous fais une drôle de blague là.... attendre demain pour la suite... alors patience...l'attente donne encore plus de saveur....
je ne suis pas suédoise mais je regarde aussi beaucoup les étoiles...