Comme promis, un petit texte à lire en famille. Tout frais pondu de ce matin, d'après une photo prise il y a quelques jours.

Un lutin dans ma botte
Bientôt Noël... Les lutins sont de sortie. Certains se laissent surprendre au matin, figés par la lumière du jour, en pleine opération bêtises. Ils renversent le farine, enrubannent le sapin de papier toilette, se goinfrent de confiture, oh les coquins! Ce sont des lutins farceurs.
Mais il existe d'autres lutins, moins connus, qui, eux, restent toujours cachés. Ce sont les lutins veilleurs.
Les lutins veilleurs prennent soin de nous, sans qu'on le sache. Il en existe, dit-on, de toutes les sortes. Certains veillent sur nos sourires, sur nos amours, sur les devoirs d'école ou sur les roues du vélo. Et il en est une espèce tout à fait particulière, qui veille sur notre marche. Sur nos pieds, devrais-je dire. Ils nous évitent les glissades et les entorses, retiennent nos talons au dernier moment, ou les soutiennent lorsqu'ils se posent sur un sol glissant. Ce sont les lutins des chaussures. Grâce à eux, on peut sauter dans la neige ou dans les vagues, courir sans tomber.
Les lutins des chaussures sont minuscules, on les voit rarement. Ils se glissent entre les lacets, ou entre les crampons des bottes, ou se faufilent, bien à plat entre la semelle extérieure et la semelle intérieure. Ils trouvent toujours un endroit et savent se faire discrets. On devine leur présence, parfois. Vous savez, quand ça gratte un peu trop à l'intérieur, ou quand vous croyez avoir un gravillon dans la chaussure, un petit truc qui vous taquine l'orteil? Quand vous ôtez votre chaussure, que vous la secouez et que rien n'en sort? Sans doute que n'était pas un gravillon, mais plutôt un lutin veilleur qui se tournait et se retournait pour trouver son confort!
Hier, après la pluie, je suis allée marcher dans la campagne derrière la maison. J'avais mis mes bottes en caoutchouc vert pomme et je marchais d'un bon pas en longeant le champ. Tout à coup, je me suis retrouvée face à une grosse flaque d'eau boueuse qui me coupait le chemin. J'ai sauté pour l'enjamber. Mon pied s'est posé sur une pierre, jusque là rien d'extraordinaire. Mais c'est là, au moment où mon pied se posait, que j'ai senti quelque-chose de bizarre dans mon corps. Je me suis sentie très légère et tout à coup très lourde, comme si j'allais m'envoler... et finalement non.
Je ne suis pas tombée, pourtant. Mes deux pieds étaient au sol, bien posés, de l'autre côté de la flaque. Mais je me sentais un peu étrange, comme si mes pieds collaient à la terre. Quelque-chose n'était pas comme d'habitude. Je me suis retournée, ai regardé autour de moi. Il n'y avait rien de bizarre, aucune sorcière qui m'aurait jeté un mauvais sort, non. C'est alors que mes yeux se sont posés sur la flaque. Et là, juste à côté... le lutin de ma botte! J'ai juste eu le temps de le prendre en photo. Le voyez-vous?
Il avait l'air aussi surpris que moi. Vaguement en colère aussi. Avait-il voulu voir du pays, ou était-il tombé de ma botte? Etait-ce ma faute? Avait-je sauté trop brusquement? Je ne savais plus quoi penser.
Lui, il n'avait visiblement aucune envie que je reste là à le regarder. Très vite, il s'est enfui, sautillant comme une grenouille jusqu'au fossé tout proche, où chantait un filet d'eau. Je l'ai suivi du regard alors qu'il disparaissait sous les branches de l'aulne, derrière les touffes d'ortie.
J'ai repris ma route, mais j'avais du mal à marcher. Mes pieds n'étaient pas sûrs, j'avais peur de tomber. Mon pas était lourd. C'était comme si chacun de mes pieds était devenu auussi pesant qu'une enclume.
Arrivée à la maison, j'ai laissé mes bottes devant la porte. A côté, j'ai déposé quelques noisettes et une pomme parfumée. Je me disais que quelques gourmandises lui donneraient envie de rentrer à la maison, de retrouver sa place au près de moi. Sans lui, je ne sais plus marcher!
Ce matin, quand j'ai ouvert la porte, les noisettes et la pomme avaient disparu. Il ne restait que des éclats de coquilles et un trognon bien rongé. Je n'ai pas regardé sous mes bottes, je ne voulais pas le déranger, mon lutin. J'ai mis mes bottes à mes pieds, et je suis partie marcher. Je me suis sentie à nouveau le pas léger. Il est rentré, ouf!
Merci, mon lutin veilleur. Tu ne paies pas de mine, tu n'as ni bonnet rouge ni grelot, mais tu ne me laisses jamais tomber.
Et vous? qui veille sur vos pas?

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